Sara Do en TerraGalice

Lettre à Saïd (version longue)

Bordj Bou Arreridj. 

 

Lettre à Saïd        

        

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Cher Saïd,

 

 

 

Au pays, la famille. Au loin le travail. Le rêve, c'est la France.

Tu la voyais comment ta vie sur les routes en partance ? Sûrement pas comme ça avec tout ce vide autour... tes frères en manque.

Le travail est aux champs comme un feu de paille pour des mains laboureuses. On l'appelle "de saison". Joli nom pour un travail. Ca donne envie de ramener plein de sous au pays et si tout va bien, ce sera pour bientôt...


En saison, 
le semeur s'aime la graine. Hors saison, la raison cède en passion. L'abondance sème au vent...

Ici le climat est lourd. Pas par la chaleur, oh non ! mais par la couleur de ta peau. T'as pas le bon ton Saïd, t'es pas comme il faut.  La courbe de ton dos est française, ta voix est algérienne.

Un indigène, comme ils disent là-bas... Un français pas de chez nous, comme ils disent ici...


Où vas-tu loin de ta terre natale ?

Paris, manoeuvre, tout le monde descend !


Le vide, le monde, le vide, le monde. Il y en a du monde sur les places publiques, les trottoirs, les rues, les usines. Il y en a du monde en bord de Seine... Y'a du monde pour étouffer tout le monde à la chaîne. Quelques années plus tard, Charonne étouffera à son tour, en février 62.


La rencontre. Tout dans le regard. Les yeux parlent tellement mieux à Jonquière...


Dis-donc, vise un peu la gazelle ! Hep ! Pas touche. Elle est belle Marthe. La maman veille au grain.  Hum...! ça sent le piment dans le coin et l'histoire s'échafaude en rumeur. Marthe est belle et, enceinte.


Un enfant de l'amour, ça n'existe pas à Jonquière Saint Vincent. Qu'à cela ne tienne, à Paris terre d'asile tout se perd, même la honte. 

Dis Saïd, qui a dit qu'un homme d'Algérie, n'est pas un homme comme tout le monde ? Au nom de quelle religion peut-on prétendre être meilleur que l'autre ? Pourquoi certains pensent-ils qu'un homme de là-bas n'a pas la même odeur ?


Est-ce que tu sais tout cela, Saïd ?

 

Toi, tu t'en fous. Marthe enfouie sous ton aile, couve ma mère de ta chaleur. La première à naître en février 1937. Deux autres oisillons naîtront plus tard, dans ce Paris qui ne ressemble à rien. Un oncle et une tante survolent ma mémoire.

Tout est dit. La toute-puissance du silence meuble confortablement notre présent. Le roi du silence, tu connais Saïd ? Au jeu des devinettes, le premier prix est attribué au non-dit. Dans la maison des souvenirs, seuls les habitants du présent peuvent s'inscrire.

Aux abonnés absents ! circulez ! Novembre 1957. Je suis petite fille de..., et, de... l'inexistence.


Quelque 30 ans plus tard. Les Hauts de Seine et ses premières cartes d'identité infalsifiables. La mienne a 10 ans d'âge, il est temps de la renouveler.

 

"-Mademoiselle, vos papiers ! A la lecture de votre extrait d'acte de naissance, nous vous demandons de fournir un certificat de nationalisation française de votre mère.

- Hein... ! quoi... !" 

 

Voilà Saïd, j'arrive de loin. Le voyage est long et laborieux pour arriver jusqu'à toi. Je suis là en chair et en os, prête à te recevoir. Prête à ouvrir la porte toute grande à tout ce chemin fait sans toi.

Dis Saïd, tu vas l'inscrire notre histoire, la nourrir de tes mots. Je vais savoir, enfin ! Je vais te bouffer du regard, te sentir, t'effleurer, t'embrasser peut-être. Je t'aspire. J'en ai des choses à te dire pour meubler le coeur du silence, affleurer la mémoire en sourdine, effleurer la couleur de ta peau...


"-Dring... ! Dring...!

- Mademoiselle, vous êtes bien la fille de...? Nous faisons une recherche pour héritage. Pouvez-vous nous donner l'adresse de votre mère ?

- ... !!!"


Toi, tu viens de partir. Enfin ! Le retour au pays, tant attendu de l'autre côté de la mer, à Bordj Bou Arreridj. Cela fait un an, déjà, que ta terre natale a récupéré ton corps. Là-bas. Mort et enterré, Saïd. 

 

Cher grand-père, j'ai reçu ton pays en héritage et tout l'amour qui va avec. La marque de ton absence au coeur de mon présent, n'est que reconnaissance du manque de toi en moi. Je suis fière de mes racines ancrées à toi, là-bas.


Pleurs. Sereine.

 

Sara Do

 

A ma grand-mère, Marthe Subey - Lahouassa

A mon grand-père, Saïd Lahouassa 



08/12/2010
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